Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
« Je m’appelle Rémy, je vis à Nice depuis 14 ans, et je suis un tout nouveau et pas très frais amateur de course à pied, incluant le trail.
Je suis borgne, et mon œil valide est capricieux, j’en suis tributaire, surtout si je ne prends pas soin de moi.
Je suis atteint d’une maladie auto-immune bien connue, la dermatite atopique, sévère, qui touche aussi mes yeux, me faisant vivre chaque jour avec une kérato-conjonctivite, elle aussi sévère.
J’ai perdu mon œil à cause d’effets secondaires de traitements et d’interventions et opérations chirurgicales inutiles, même préjudiciables. Allant même jusqu’à me faire perdre la vue de mes deux yeux durant plusieurs mois en 2014.
J’ai dû arrêter de travailler, retourner vivre chez mes parents pendant presque 3 ans, avant de retrouver une vue partielle et floue de mon œil gauche, relançant mon autonomie, et me permettant de vivre plutôt normalement depuis fin 2017.
J’ai ainsi déjoué les discours des médecins et spécialistes qui, à l’époque, me disaient qu’aucun retour n’était possible, me conseillant d’ailleurs d’apprendre le braille ou de me prendre canne. Propos réellement tenus.
Après plusieurs semaines de dépression, d’enfermement physique et mental, parfois jusqu’à des pensées suicidaires, j’ai pris mon père par l’épaule, et j’ai décidé de faire du sport, manger différemment, complètement changer mon mode de vie.
Surtout, conseillé amicalement par Bernard Sainz, un monsieur très connu dans le milieu sportif. »
Qu’est-ce qui vous a motivé à pratiquer le trail ?
« J’ai grandi à La Réunion. Adolescent, je n’ai pas pu profiter de tout ce que l’île avait à offrir en termes de randonnées, de trails. Et même s’il s’agissait de pratiques déjà répandues, elles étaient moins médiatisées, et les réseaux sociaux n’existaient pas à cette époque (oui, je suis vieux…), donc moins la possibilité d’en entendre parler. J’étais focalisé sur le Beach volley, les sorties en boites avec les copains.
J’ai tout de même pu, vers mes 17, 18 ans, y faire des balades dans des coins extraordinaires, et je suis persuadé que ce goût pour la nature, la liberté de mouvements et l’infinité de terrains et de possibilités, en plus de ces souvenirs heureux, me sont apparus et se sont inconsciemment couplés à ma très récente addiction, la course à pied. Pratique que j’ai décidé d’adopter après une période difficile liée à ma maladie l’année dernière.
J’ai aussi, depuis plusieurs années, une tradition, celle de partir au printemps avec l’un de mes plus proches amis, Aymeric, dans l’arrière-pays niçois pour plusieurs jours de trekking. Et ça a aussi immiscé en moi l’envie d’en faire plus, plus vite, plus longtemps, plus difficile.
Concernant votre trail, c’est une amie, Alexia, qui l’a fait plusieurs fois, qui m’en a parlé l’été dernier. Elle m’a dit que j’avais les compétences pour le faire, et que le parcours était à la fois beau et pas trop technique. Donc j’ai dit oui sans hésiter… quel bourbier… (rires)
Vous êtes mon premier dossard trail officiel ! Et j’en suis ravi. J’avais déjà fait du trail récréatif avec des amis, et ça c’était passé plutôt mal car je n’étais pas du tout préparé pour. J’ai fait le Lou Camin Nissart (tour de Nice d’environ 50km) avec un sacrum fissuré, donc plus rando, j’ai fait une étape du GR05 avec un syndrome de l’essuie-glace, et le col de la Madone avec les yeux en vrac. Mais il faut croire que tout ça ne m’a pas dégouté, mais plutôt créer un besoin de revanche. Que j’ai pu assouvir en étant finishers chez vous !! »
Comment préparez-vous vos courses en amont ?
« Pour ce trail, et surtout pour éviter de souffrir le jour J, j’ai axé ma préparation principalement sur l‘endurance et la résistance.
Donc, c’était course à pieds, foncier et qualité.
4 fois par semaine, ce qui tombait bien car j’enchaînais avec ma première Prom Classic le 5 janvier. Que j’ai d’ailleurs terminé en 42:40.
Malheureusement, je ne peux partir seul dans des endroits que je ne connais pas, et encore moins sur des chemins accidentés, ou en pleine nature. Donc ma préparation est limitée à la route, au plat, au tout droit… j’ai fait 90% de promenade des anglais. Manque cruel d’entraînement à la technicité, et au renforcement musculaire spécifique au trail.
Pour ces sorties précises, je dépends de mon entourage, et avec nos vies bien remplies, c’est assez rare que nous arrivions à nous organiser.
J’ai complémenté ça à de la marche quotidienne, et du vélo électrique.
Et à une alimentation très saine. Car c’est un point extrêmement important, surtout pour moi, qui à cause de mon infection, ai vécu des passades de boulimie, d’anorexie et même d’orthorexie. Mais avec l’expérience, je jongle désormais entre une nutrition plus diversifiée et complexe, et des jeûnes lorsque j’en ressens le besoin. »
Quelles étaient vos principales sources de repères pendant la course ?
« C’est mon amie Alexia qui m’a accompagné ce 24 novembre. J’ai pu la pousser lors des montées, mon point fort car je suis beaucoup moins entravé par ma vision, et j’étais contraint de l’avoir à mes côtés pour les descentes, là où ma vision me fait flancher.
En bonne condition physique, je n’ai eu aucune difficulté ni musculaire, ni respiratoire, ni même digestive. Mais les kilomètres fusant, la fatigue a commencé à taper sur mes yeux, et cela opacifie ma conjonctivite qui embrume ma vision, qui de facto, se réduit encore, en plus de l’hypertension qui me donne la sensation de recevoir des coups de poings derrière l’œil, des petits vertiges et des nausées de réveil de grosse cuite.
Alors que mon amie me donnait des consignes orales depuis le début, elle a dû improviser sur le dernier cinquième de course en intensifiant son soutien, en utilisant son bâton pour que mon regard s’y pose et que j’ai le son lorsqu’il cognait les obstacles. Ce fût assez éprouvant, et pour elle, et pour moi.
Heureusement que mon corps a amélioré sa proprioception depuis le temps aussi ! »
Quels défis avez-vous rencontré ?
« LA BOUE ! On ne va pas se mentir, pour ma première, vous avez mis le paquet ! (rires)
J’ai eu le droit à la pluie, au terrain glissant, au vent, au froid, à l’épais brouillard, alors que j’y suis déjà H24 (rires), je n’ai pas été déçu du voyage !
Sinon, à part ça, c’est un parcours plaisant, avec 2-3 passages techniques mais qui ne sont pas dangereux plus que ça, c’était assez aisé pour moi, de m’en sortir. Surtout avec ma super guide.
Je reviendrai, en croisant les doigts pour un beau temps la prochaine fois. J’ai une revanche à prendre sur le chrono. C’est entre moi et moi. »
Pouvez vous nous décrire le moment le plus marquant de ce trail selon vous ?
« LA BOUE !!! (rires) Blague à part, spontanément, je vous répondrai : la grimpe du Mont Férion.
Et pas en mal, je me suis vraiment amusé, j’ai même pu devancer et abandonner ma partenaire d’aventure jusqu’en haut, grâce à votre balisage efficace.
J’ai adoré ça même si je n’y voyais plus grand chose. »
Que diriez-vous à d’autres personnes malvoyantes qui hésitent à participer à un événement sportif comme celui-ci ?
« Qu’elles ne se brident pas plus que ce que leurs corps les brident déjà. Qu’elles ne s’interdisent rien. Selon leurs visions, ou leurs cécités, tout est possible, Qu’elles finissent avec un joli chrono, ou bonnes dernières, ou même après la barrière horaire, au fond, sans prétention aucune, l’important ce n’est pas de participer mais de donner son meilleur, de se dépasser, de tout donner.
Je pense que la plupart d’entre nous connaissent plus de gens qui ne randonneront, ni ne galoperont JAMAIS 30 kilomètres et 1900 mètres de dénivelé positif en une journée de toute leur vie. Donc en soit, y aller, le finir, même dernier, ou même au 3/4, après avoir tout livré, c’est tout bonnement magnifique. Et personne ne peut dire le contraire, à moins d’avoir du pierrier à la place du cerveau. »
Comment avez-vous trouvé l’organisation du trail et l’accompagnement mis en place pour les participants en situation de handicap ?
« Pour être franc, j’oublie parfois que je suis handicapé (n’ayons pas honte ou peur de ce mot, il définit un état, physique ou mental, pas l’âme, ni la personnalité d’une personne donc il faut le réhabiliter), et j’ai décidé sans trop décider d’ailleurs, de courir parmi et avec des valides.
Donc je ne prête pas forcément attention aux détails mis en place sur ce sujet précis.
Toutefois, l’organisation générale était top. Comme l’ambiance et l’accueil des bénévoles, tous très souriants.
J’ai plaisanté sur le placement des barrières au dernier virage à 300 mètres de l’arrivée que je me suis pris en pleine poire.
En réalité, si j’ai fini dans les derniers, l’histoire retiendra que c’est de votre faute ! (rires)
C’est après des entraînements ou des courses que je réalise que ce que j’ai produit est gratifiant et plus savoureux qu’à la normale… lorsqu’on vient me voir en me disant que je ne me rends pas compte de mes “exploits fous”.
J’aime croire que je ne fais pas ça que pour moi, en y réfléchissant, même si mon égo s’en voit gonflé, évidemment, et que ça rend fier mes parents qui m’ont vu au plus bas, ma compagne qui est ma plus grande fan et pilier de choix, et sûrement mon fils, plus tard, qui est maintenant dans chacune de mes pensées, chacun de mes pas.
Donc je n’ai pas vraiment de réponses concernant l’accessibilité et l’inclusion à pareils événements, si ce n’est éventuellement encore plus de balisages fluos…
J’ai cette philosophie de “tous pareils, tous logés à la même enseigne”, et on fait, à notre niveau, le maximum pour s’en sortir.
Je prends pour exemple Philippe Croizon ou Théo Curin, qui nage dans les mêmes eaux que nous, qui ne peuvent pas être plus inclusives ou accessibles, c’est de l’eau (“dans 20, 30 ans”…), et qui pourtant font des performances justes folles, que je ne ferai personnellement jamais, étant incapable de nager 15 minutes d’affilée, sous peine de boire une tasse aussi grosse que celles qui tournent chez Disney.
Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des courses organisées exprès pour les personnes déficientes, qui les rassurent plus, les encadrent mieux et c’est génial, il y a des courses pour les valides, et des courses où les deux sont mêlés et classés aussi par catégorie, et je suis sûr que beaucoup de ces personnes aiment se confronter aux “vraies” règles, aux “vrais” classements tant que leurs situations le permettent, quitte à, comme je le disais, finir en bas de tableau.
C’est mon cas, je suis juste fier de l’avoir fini, avec et comme tout le monde présent ce jour là. »
Le Raid EDHEC est une association étudiante qui organise 2 Raid multisport et 1 Trail chaque année. Ces événements ont pour but de défendre une vision du sport basée sur le dépassement de soi, l’exigence et la convivialité.
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